Programme de recherche

Un grand nombre d’études s’intéressent aux causes et au processus du désalignement politique. Toutefois, personne n’a systématiquement analysé les conséquences de ce phénomène pour les démocraties représentatives. Le but de cette recherche est donc de combler ce vide scientifique en examinant les conséquences de l’érosion partisane sur 1) les choix électoraux des électeurs 2) les comportements des partis politiques 3) la congruence entre les citoyens et les partis. Ces trois éléments constituent les trois questions de recherches de ce programme. Pour ce faire nous analyserons des données de sondage, les programmes des partis politiques ainsi que les résultats des expériences.

Objectifs

Les liens qui unissent les partis politiques aux citoyens s’amenuisent dans les démocraties avancées. Le but de ce programme de recherche est d’examiner comment cette érosion des liens entre les partis et la population, le désalignement politique, influence le fonctionnement des démocraties représentatives. Le désalignement politique est sans doute le phénomène le plus important en ce qui concerne les changements qui touchent les démocraties électorales depuis quelques décennies. Il est important de s’intéresser à ce processus, car le fait que les citoyens soient aujourd’hui de plus en plus apartisan est un défi de taille pour les démocraties, car les partis politiques sont au cœur du processus démocratique. Plusieurs recherches, incluant les miennes, ont documenté les causes et le cheminement du désalignement politique. Toutefois, personne n’a systématiquement étudié les conséquences de ce désalignement sur le fonctionnement des démocraties représentatives. Le but de cette recherche est donc de combler ce vide scientifique en examinant les conséquences de l’érosion partisane sur 1) les choix électoraux des électeurs 2) les comportements des partis politiques 3) la congruence entre les citoyens et les partis. Ces trois éléments constituent les trois questions de recherche de ce programme. Pour ce faire, nous analyserons des données de sondage, les programmes des partis politiques ainsi que des expériences. En premier lieu, nous nous intéresserons à l’électeur. Nous examinerons comment l’alignement partisan influence les choix électoraux que font les citoyens. Plus précisément, nous étudierons le désalignement politique et ses impacts sur deux mécanismes essentiels au bon fonctionnement des démocraties représentatives : Le vote de proximité (lorsque les électeurs choisissent le parti qui est le plus près de leur propre idéologie politique) et l’imputabilité (lorsque les électeurs utilisent leur vote afin de punir un gouvernement en se basant sur sa performance). En second lieu, nous nous intéresserons aux effets du désalignement politique sur les partis politiques. Nous déterminerons si le désalignement amène les partis politiques à prendre des décisions moins polarisantes et à changer leur positionnement idéologique plus fréquemment. Le troisième aspect de ce programme de recherche concerne les effets produits par le désalignement politique sur le lien qui unit les citoyens aux représentants. Pour ce faire, nous vérifierons si les liens idéologiques qui unissent généralement l’opinion publique et les partis politiques sont affectés par le niveau et la force de la partisanerie. En combinant des analyses sur les électeurs, les partis et les liens qui unissent ces deux acteurs, ce programme de recherche offrira une nouvelle perspective concernant les conséquences du processus de désalignement.

État de la question et les avenues de recherche

Depuis les années 1970, plusieurs études ont observé une diminution des liens entre les citoyens et les partis politiques. Le processus de désalignement politique est aujourd’hui bien établi et l’effet partisan est sur un déclin. Ceci a pour effet de diminuer la participation électorale, tout en provoquant des résultats électoraux qui sont de plus en plus instables (Dalton & Wattenberg, 2002). Le comportement électoral dans plusieurs démocraties avancées est aussi plus instable, et ce, au niveau agrégé (Dassonneville & Hooghe, 2015) ainsi qu’au niveau individuel (Dassonneville & Hooghe, 2015). Les résultats empiriques suggèrent des changements structurels concernant les politiques de masse, ce qui a des impacts sur les démocraties représentatives (Mair, 2005). Traditionnellement, le rôle des partis politiques est d’assurer que les désirs des citoyens soient représentés à travers les gouvernements. En effet, il a déjà été démontré que «modern democracy is unthinkable save in terms of parties» (Schattschneider, 1992: 1). Les partis politiques, et la dynamique partisane en particulier, font office de raccourci pour les électeurs afin de décider pour qui voter. En se fiant à leur préférence partisane, les électeurs peuvent être, même sans s’informer sur tous les enjeux d’une politique, confiant que «leur» parti représentera mieux leurs intérêts. À partir de ces constats, nous devons considérer le désalignement et la baisse de l’identification partisane comme des menaces pour les démocraties représentatives. Le but principal de cette recherche est de comprendre les conséquences du désalignement politique sur les démocraties représentatives, et ce, en respectant trois principaux éléments, qui correspondent aux trois avenues de recherches énoncées ci-dessous.

La première avenue, analyse les effets du désalignement sur les comportements électoraux des citoyens. Deux visions s’opposent dans la littérature sur cet aspect. Tout d’abord, certains ont affirmé que sans la présence de partis politiques forts, les choix électoraux sont devenus «merely a blurry snapshot» (Andeweg, 2003: 151), ils ne représentent plus les préférences ni les intérêts des électeurs. En opposition à cette première analyse, d’autres chercheurs disent que l’érosion des liens entre la population et les partis politiques offre aux électeurs l’opportunité de faire leur choix de manière libre et indépendante (Rose & McAllister, 1986). Dans cette perspective, le processus de désalignement peut être compris comme renforçant la représentation de la population, car cela permet aux électeurs de rationnellement choisir le parti qui représente le mieux leurs intérêts plutôt que de choisir le parti auquel ils s’identifient. Ces désaccords dans la littérature nécessitent que des études soient faites afin de mieux comprendre les effets du désalignement électoral sur les choix des électeurs. Pour ce faire, nous nous intéresserons à deux mécanismes qui sont à la base des démocraties représentatives : les votes de proximité idéologique et le processus d’imputabilité (Przeworski et coll., 1999). Le vote par proximité idéologique signifie que les électeurs devraient toujours voter pour le parti qui est le plus près de leurs préférences idéologiques. D’ailleurs, les tenants du modèle de parti responsable nous disent que ce mécanisme est primordial pour le bon fonctionnement des démocraties représentatives (APSA, 1950). La question fondamentale à laquelle nous répondrons est de savoir si des allégeances plus faibles se traduisent par plus de votes de proximité. Nos résultats tenteront de démontrer si l’érosion de la dynamique partisane signifie réellement que les électeurs sont en mesure d’identifier de manière plus efficace et moins biaisée le parti politique qui représente le mieux leur propre positionnement politique et idéologique (Dalton & Wattenberg, 2002). Pour qu’une démocratie représentative soit viable, un deuxième mécanisme doit être mis de l’avant. En effet, l’électorat doit pouvoir tenir les politiciens responsables de leurs performances (Key, 1966). Contrairement au premier mécanisme énoncé, ou l’accent était mis sur la capacité des électeurs à identifier le parti qui représente le mieux leurs intérêts, ce deuxième mécanisme implique que les électeurs jugent de manière rétrospective les représentants afin de savoir s’ils ont répondu à leurs attentes (Przeworski et coll., 1999). Nous tenterons de vérifier si une diminution de l’allégeance envers les partis politiques signifie que cette évaluation rétrospective a plus d’importance et si les représentants sont imputables à des niveaux supérieurs. Ces deux mécanismes ont mené à de nombreuses recherches. Toutefois, aucune étude ne s’est intéressée à savoir s’ils ont un impact, si oui, quel est cet impact, sur le processus de désalignement (Dassonneville & Lewis-Beck, 2015). Il est donc important d’étudier, en termes de causalité, comment la dynamique partisane influence le vote de proximité et l’imputabilité. Inspiré par l’idée que la dynamique partisane peut agir comme biais pour les électeurs (Zaller, 1992), plusieurs études ont déjà examiné comment la partisanerie influence ces deux mécanismes, et ce, en utilisant principalement des données de sondages (voire Kayser & Wlezien, 2011). Cette étude démontre que la proximité idéologique et le mécanisme d’imputabilité sont plus présents lorsque l’identification partisane s’amenuise. Dans le cadre de cette recherche, nous développons ces constats de manière expérimentale. Pour mieux traiter le mécanisme de l’imputabilité, nous analyserons différents aspects des politiques gouvernementales (pas seulement l’économie, mais aussi les politiques traitant du crime, de l’immigration et de la sécurité sociale), mais aussi des aspects plus généraux de la gouvernance (la corruption par exemple). Cette façon de faire représente une innovation dans ce domaine qui de manière générale s’intéroge particulièrement à l’impact de l’économie sur les choix électoraux (il y a tout de même quelques exceptions, Hobolt et coll., 2013).

Cette recherche mettra aussi l’accent sur les partis politiques et tentera de mieux comprendre comment le désalignement affecte le comportement des partis et leur positionnement idéologique. Mair (2008), a démontré que l’érosion de la dynamique partisane amène les partis à adopter des stratégies attrape-tout (catch all). Comme la base partisane s’effrite, les partis politiques doivent s’engager dans une compétition plus ouverte s’ils veulent remporter l’élection. De ce fait, si la compétition interpartie augmente, les partis ont tendance à devenir idéologiquement similaires, et ainsi moins polariser, afin de convaincre une plus grande proportion des électeurs médians. Bien qu’il y ait une littérature importante traitant des comportements stratégiques des partis politiques et de leur positionnement idéologique (Adams, 2012), peu d’études ont étudié les dynamiques temporelles de la compétition partisane. De plus personne ne s’est intéressé spécifiquement au rôle du désalignement politique sur l’homogénéisation de l’idéologie des partis politiques. Il nous reste à vérifier si la diminution de l’identification partisane amène les partis à adopter des positions moins polarisées. Aussi, nous tenterons de comprendre si un alignement partisan plus faible influence les partis politiques à modifier leur positionnement idéologique plus rapidement et les amène à changer leur plateforme électorale afin d’y intégrer de nouveaux enjeux qui sont à même d’attirer les électeurs volatiles. Alors que certains chercheurs se sont intéressés aux plateformes électorales et à leurs déterminants (voire Walgrave & Nuytemans, 2009), aucun n’a examiné si la diminution de la partisanerie influençait la vitesse à laquelle les partis ajustent leur programme, pour y insérer de nouveaux enjeux. Par exemple, est-ce que les partis, dans un contexte d’identification partisane faible, adressent plus rapidement à de nouveaux enjeux, comme l’environnement ou la migration? Pour résumé, ce deuxième aspect de cette recherche découle du sentiment que pour mieux comprendre l’impact du désalignement sur les démocraties représentatives, il est important de ne pas seulement analyser le comportement aux électeurs, mais aussi aux partis, car ces derniers peuvent aussi agir stratégiquement.

Notre troisième avenue de recherche pour cette recherche atteint un niveau plus élevé que les deux précédentes, car elle s’intéresse à la fois aux électeurs et aux partis politiques. En effet, cette troisième voie explore la congruences entre les deux acteurs énoncés précédemment. Le but de cet aspect est de mieux comprendre comment le désalignement influence la qualité de la représentation. Comme l’a démontré Pitkin (1967), la qualité de la représentation peut être évaluée en examinant la mesure dans laquelle les élus agissent en faveur des intérêts de leurs électeurs. Plusieurs études évaluent la qualité de représentation en examinant les indicateurs idéologiques qui unissent les électeurs et leurs représentants (Blais & Bodet, 2006; Golder & Stramski, 2010). Ces études se sont principalement intéressées à l’impact des institutions électorales sur le niveau de congruence. Pour ce programme de recherche, nous nous intéresserons à l’impact de la dynamique partisane sur la congruence entre les élus et les électeurs. Pour ce faire, nous examinerons comment les effets de la variation temporelle et transnationale dans le niveau de partisanerie influencent la congruence. Ce faisant, nous ferons la lumière sur la question, à savoir, quel est l’impact des liens partisans sur la congruence idéologique entre les citoyens et leurs représentants. De plus, nous tenterons de comprendre comme le processus de désalignement renforce la congruence idéologique entre les citoyens et les partis politiques.

Ainsi, pour résumer, ce programme de recherche, innovateur et ambitieux, a pour but de clarifier l’impact du processus de désalignement dans les démocraties avancées et donc, représentatives. Pour ce faire, nous étudierons comment la force (ou la faiblesse) des liens partisans influence le comportement des citoyens, le comportement des partis politiques et aussi la congruence idéologique entre les citoyens et les partis. Ce programme de recherche va non seulement offrir une vision globale des conséquences de désalignement, mais il saura également clarifier le rôle des électeurs et des partis dans ce processus. Plus largement, les analyses sur la congruence entre les citoyens et les partis nous permettront de voir si la partisanerie améliore la qualité de la représentation et si le processus de désalignement met en péril la qualité de la démocratie représentative, comme certains l'ont prétendu.

Ce contenu a été mis à jour le 12 décembre 2017 à 17 h 40 min.